L’amour n’est pas un long fleuve tranquille

Oeil vif, teint frais, corps ferme, muscle délié, c’est ainsi que nous nous sommes rencontrés. Encore inconnus l’un à l’autre, nous allions faire connaissance, confrontés ensemble au grand Inconnu. La magie de l’amour naissant nous rendait insouciants et légers, malgré notre vie de bohème ou peut-être grâce à elle. Très vite nos trois petites filles étaient nées et leurs babillages nous enchantaient. La source initiale était devenue ruisseau limpide et vagabond puis au fil du temps, rivière agitée de quelques remous, troublée par nos préoccupations liées au travail et à l’énergie nécéssaire pour nourrir, éduquer, protéger notre famille. Face à de tels défis, nous nous sommes jetés à l’eau ! C’est ainsi que nous sommes devenus fleuve… Là, nous avions de la place pour exprimer nos idées, nos envies, nos différences, nos colères, nos joies, notre rage de vivre. Enrichi de nombreux affluents, tantôt bouillonnant, tantôt apaisé, notre fleuve a suivi son cours en creusant un large sillon. Aujourd’hui il coule assagi entre ses berges devenues jardins, descendant lentement vers son embouchure pour s’étaler en delta et étendre ses longs bras qui bientôt se fondront dans la mer.
Ensemble, nous nous promenons sur les sédiments de nos souvenirs parmi les flaques d’eau saumâtre et les mares claires où se mirent les nuages. L’une nous renvoie la silhouette des deux petits vieux que nous sommes devenus. Je m’entends lui dire « Oh ! regarde toi, redresse ton épaule, tu es tout bancal ! ». Il se soumet et bombe le torse pour me faire rire. Puis soudain, il me tend sa main « Allez saute par dessus l’eau ! ». J’hésite un peu à cause de mon genou. Allez saute, n’aies pas peur tu vas y arriver ! Alors je m’élance et il m’accueille en s’esclaffant : Tu vois, j’avais raison, tu as réussi ! Sa petite phrase, douce et têtue comme un clapotis nous a toujours maintenu à flot en nous menant de la source à la mer.
Nous voilà à présent face à un nouvel Inconnu dont il faudra bien un jour faire connaissance. Mais ça, c’est une autre histoire…